mercredi 16 janvier 2013

Ironie n°166 - Janvier 2013 Citations

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Interrogation Critique et Ludique n°166 – Janvier 2013
http://ironie.free.fr – ISSN 1285-8544
IRONIE : 51, rue Boussingault - 75013 Paris
Blog Ironie : http://interrogationcritiqueludique.blogspot.fr

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Ex-voto

Inscription murale rue de la Glacière à Paris – Mai 2012
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« L’abus de pouvoir est un crime sans nom »

« Seul, tel quel, sans personne à charge, solitaire »

« S’égarer est facile, et vastes sont ses voies.
Mais la voie du salut est comme un chas d’aiguille.
C’est une faille abrupte, un chemin si étroit
Que, pris dans ce goulot, les chevaux aguerris
N’y progressent qu’à coups de cravache et de cris. »

« Les religions sacrées ? Le même égarement.
Toi, tu rêves tout haut de tulipe en ta plaine. » 

al-Ma’arrî – Les Impératifs
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Les Impératifs


« Agir ou ne pas agir, il n’importe, le temps fuit
Et la main laisse choir ce que porte ses replis.
D’humaines silhouettes s’esquissent dans la nuit.
Lorsqu’une jeune nation se hisse, d’autres plient.
C’est à la poussière que les corps sont promis,
Mais sais-je où l’âme ombreuse des morts est partie ? »
*



« Réveillez-vous, réveillez-vous, ô égarés !
Vos religions ne sont que des pièges, des rets
Tendus par quelque ancêtre. Ils ont voulu rafler
Des bribes de richesse, et ma foi, ils l’ont fait.
Ils ont péri. Mort à leur Loi illégitime !
Ils nous disaient : Le temps touche à son terme ultime
Et les jours pantelants, à bout de souffle, expirent.
Ils mentaient. Nul ne sait l’échéance à venir.
Ainsi, n’écoutez pas ces fieffés imposteurs.
Mais moi-même, comment jouirais-je de l’heure,
Quand la mort, je le sais, exerce sa créance ?
Gardez-vous de chacun, proches ou connaissances,
Et gardez votre esprit en éveil face aux leurres. »
al-Ma’arrî – Les Impératifs – XIe siècle (envoyé spécial d’Ironie au sud d’Alep)
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 FUGUES

« L’un des phénomènes les plus extraordinaires concernant le musicien le plus extraordinaire de l’histoire réside dans le fait que l’œuvre de cet homme, qui exerce aujourd’hui sur nous un attrait quasi magnétique, et à l’aune de laquelle on peut mesurer l’ensemble de la production musicale des deux derniers siècles, n’a eu absolument aucun effet ni sur les musiciens ni sur le public de son époque. Et pourtant, rien chez Bach ne correspond à l’image que nous nous faisons du génie méconnu, en avance de beaucoup d’années sur son temps. Sans doute fut-il méconnu, mais certainement pas parce qu’il était en avance sur son temps, et bien plutôt parce que, selon l’horizon musical de l’époque, il paraissait se situer des générations en arrière. Écrire des fugues telles que Bach les écrivait vers la fin de sa vie devait sembler aussi démodé à son époque que de prétendre écrire aujourd’hui des symphonies à la manière de Bruckner. De surcroît, au fur et à mesure qu’il avançait en âge, Bach ne faisait aucun effort pour se réaligner sur l’esprit de son temps, mais il se réfugiait au contraire dans ce qui dut apparaître à ses contemporains comme une visite rétrospective à des âges certes glorieux mais depuis longtemps révolus. Bach fut en vérité le plus grand non-conformiste de l’histoire de la musique, l’un des exemples suprêmes d’une conscience artistique indépendante qui se démarque du processus historique collectif. »

Glenn Gould, 1962.


LE MUSICIEN PRÉFÉRÉ DE GIACOMETTI

« Il existait un appareil moderne au 46 rue Hippolyte-Maindron : un tourne-disque. Dans la pièce contiguë à l’atelier, Annette écoutait souvent des disques – de préférence l’Opéra et la musique romantique […]. D’ordinaire Giacometti était trop concentré pour écouter la musique, mais il lui arrivait aussi de crier, lorsque La Dame aux camélias ou le Voyage d’hiver lui portait sur les nerfs déjà éprouvés par la difficulté du travail : “Annette ! Pourquoi ne mets-tu pas plutôt Haendel ?” Haendel était son compositeur préféré. Yanaihara rapporte : “Selon Giacometti, la musique de Haendel est la plus ouverte, tout à fait naturelle, sans aucun artifice ni exagération. À côté de Haendel, la musique romantique à partir de Beethoven est trop technique, subjective et artistique. La meilleure forme d’art est celle qui ne fait pas art. C’est pourquoi Giacometti aime Goethe et Haendel mais qu’il leur préfère encore Homère et les chants grégoriens.” »

Sachiko Natsume-Dubé, « Je travaille comme une mouche », 2007.


UN STEINWAY À L’ATELIER

« Bien que Rodin eût “horreur des théâtres”, comme Jeanne Russel s’en souvenait, elle et son père parvinrent à l’emmener voir Tristan et Yseult à l’Opéra [au printemps 1907]. Mais après le premier acte, il se leva et dit en manière d’excuse : “Russell, il faut que je parte, je ne puis supporter cette musique plus longtemps ; c’est comme vos gouffres de Belle-Ile, c’est tellement beau que cela donne envie de mourir.”
Il vit assez souvent Jeanne Russel quand il eut fait installer un Steinway rue de l’Université. Là, comme elle l’écrit dans ses Mémoires, elle lui jouait “pendant des heures, Orphée, Alceste, Iphigénie, des sonates de Beethoven, de Mozart, de Haydn et surtout du Bach.” »

Frederic V. Grunfeld, Rodin, 1988.


« JOUEZ-MOI DU MOZART »

« Degas n’était pas fermé aux beauté de Wagner, mais il ne lui plaisait pas de s’y adonner. De même, pour toute la grande musique romantique allemande. Je l’ai entendu dire à une jeune femme qui s’était mise au piano pour le distraire, et qui entamait une sonate de Beethoven : “Quand j’entends du Beethoven, il me semble que je marche seul dans un forêt chargé de toutes mes peines. Jouez-moi du Mozart ou du Gluck.” De sa jeunesse napolitaine, il avait gardé le goût de l’ancienne musique italienne. Encore mesurons-nous mal aujourd’hui le scandale que faisaient en 1893 les trois chanteurs de Cimarosa. L’ancienne musique italienne a été remise en honneur depuis une cinquantaine d’années. Son discrédit, aux temps dont nous parlons, fascinés par le seul Wagner, était total. »

Daniel Halévy, Degas parle, 1960.


L’ENSEIGNEMENT DE LA PEINTURE

« Je me souviens qu’après que Chardin m’eut appris que les plus humbles choses, une nappe, un couteau, un poisson mort, peuvent avoir de la beauté, Véronèse m’apprit que les belles choses ne sont pas exceptées de cette possibilité de beauté et que l’or, les soieries, les pierreries, peuvent être belles comme le couteau et la nappe. »

Lettre de Proust à Madame de Pierrebourg, 1913.


IMMENSE SURPRISE

« En vérité mon apport aux lettres françaises a été je crois ceci : on le reconnaîtra plus tard – rendre le langage français écrit plus sensible, plus émotif, le désacadémiser, et ceci par le truc qui consiste (moins facile qu’il y paraît) en un monologue d’intimité parlé mais TRANSPOSÉ – Cette transposition immédiate spontanée voilà le hic. En réalité c’est le retour à la poésie spontanée du sauvage. Le sauvage ne s’exprime pas sans poésie, il ne peut pas. Le civilisé, l’académisé, s’exprime en ingénieur, en architecte, en mécanisé, plus en homme sensible. – Il s’est agi en réalité d’une petite révolution dans le genre de l’impressionnisme, avant Manet on peignait en jour d’atelier, après Manet on peignait au grand jour, à l’extérieur – Immense surprise – on retrouvait le chant des couleurs. »

Lettre de Céline à Milton Hindus, 15 mai 1947.


NAISSANCE

« Ne jamais être né est peut-être le plus grand bienfait. »
Sophocle, Œdipe à Colonne.
« Je ne connais pas d’autre grâce que celle d’être né. »
Isidore Ducasse, Poésies II.

VESTIGIA PARVA

« Ce que je ne puis exprimer, je le montre au doigt :
Verum animo satis haec vestigia parva sagaci
Sunt, per quae possis cognoscere cetera tute. »

Montaigne, Essais.

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